Une semaine à Tinamaste
D’un paradis à l’autre
Nous repartons le samedi matin vers le nord, à trois heures de route de Zancudo, direction Tinamaste, un petit village perché dans la montagne, mais près de la côte Pacifique.
Charlotte avait négocié un échange de maison avec une famille canadienne installée depuis quelques années dans la région. Alexis – qui est un prénom féminin au Canada – nous a laissé quelques indications pour trouver la maison, avant de partir avec son mari et ses enfants en vacances au Panama.
« Arrivés en haut de la colline, prenez le chemin en terre sur la gauche. Passez deux ponts et nous sommes la deuxième maison sur la gauche, celle avec un portail noir. Si vous traversez un troisième pont, c’est que vous êtes allés trop loin. »
Vaccinés à la boue rouge par notre arrivée à Playa Zancudo, nous sommes légèrement tendus quand nous découvrons la piste défoncée qui descend à pic pour remonter aussi sec sur l’autre versant.
Au bout de quelques kilomètres, nous faisons demi-tour, persuadés d’avoir passé au moins une quinzaine de ponts sans nous en apercevoir. L’inconvénient dans cette région du Costa Rica, c’est qu’il n’y a pas d’adresse.
L’avantage, c’est que tout le monde se connaît. Renseignements pris, la maison d’Alexis et Aidan est bien au bout de cette piste cahoteuse et nous n’avons encore passé aucun pont.
Nous finissons par arriver une heure plus tard que prévu, et sommes accueillis par Tyler.
Canadien anglophone lui aussi, il habite dans une petite maison en contrebas de la nôtre, et vit avec la famille depuis huit ans, alternant entre des périodes de travail intense en Colombie Britannique et des séjours dans ce bout de jungle.
Une fois n’est pas coutume, nous arrivons dans un endroit incroyable encore plus sauvage que le précédent. Complètement ouvert sur l’extérieur, mais cette fois-ci sans moustiquaire, et plongeant directement dans l’épaisse forêt tropicale.
Les enfants ont chacun leur chambre et, pour atteindre la nôtre, nous empruntons un imposant escalier en béton qui descend vers un autre niveau. Notre douche est à l’extérieur, donnant directement dans les arbres.
Tyler nous fait le tour du propriétaire: derrière la maison, une micro-ferme avec des poules, des chèvres et un petit potager. Un chien et trois chats.
En contrebas, une cascade que l’on entend couler malgré le bruissement de la jungle. Les filles ne tarderont pas à apprendre l’art de la traite de biquette.
La nuit, une multitude de chants, sifflements et autres croassements nous oblige à parler fort pour nous entendre.
Tyler est passionnant, et passe à peu près autant de temps que moi à s’extasier sur tous les insectes incroyables que nous croisons.
Des mantes religieuses de toutes les formes, des sauterelles géantes et autant des papillons de nuit que l’imagination peut en trouver.
Nous vivons en symbiose totale avec les animaux, domestiques comme sauvages, qui vont et viennent en toute liberté dans cette maison sans mur ni fenêtre. Exceptée Nine, qui ne peut s’empêcher de bondir à chaque fois qu’un insecte entre par mégarde en collision avec elle!
On a autant de chances de tomber sur un énorme scarabée que sur un chat dans le salon.
Le dépaysement est total.
Et l’humidité importante dans ce coin de forêt. Tyler nous en fait la démonstration le premier soir, lorsqu’il entreprend de faire un feu dans la cheminée extérieure. Il passera la soirée à souffler sur un bois qui refuse obstinément de faire des flammes. Mes feuilles à rouler collent entre elles, et tout ce que nous laissons traîner prend vite l’humidité. Il y a des déshumidificateurs dans toutes les chambres, et les livres comme le sel sont confinés en lieu sûr!
Baby don’t rush, you’re no waterfall
Le lendemain, nous partons avec les enfants à la découverte de la cascade que l’on entend couler en contrebas. Charlotte passe son tour et opte pour une sieste réparatrice.
On s’aventure dans le petit sentier qui part de la maison et qui descend à pic à travers la forêt dense. Au bout de quelques centaines de mètres, nous apercevons une petite cascade qui débouche sur une piscine naturelle.
La rivière continue jusqu’à une immense chute d’eau dont on ne voit pas la fin.
L’eau est fraîche dans ce coin de forêt si dense que le soleil peine à s’y frayer un chemin.
Et puis, je n’ai pas pris mon maillot.
Après quelques valses hésitations, je finis par me déshabiller entièrement devant mes ados un peu gênées, et plonge en direction de la cascade, rapidement suivi par Jean.
La baignade dure le temps de la photo: je suis courageux, mais pas franchement téméraire et l’eau, bien que claire et on ne peut plus pure, ne me rassure qu’à moitié.
Les montagnes environnantes retiennent les nuages et, même si nous sommes en pleine saison sèche, il n’est pas rare qu’il pleuve dans ce coin de jungle alors qu’il fait grand beau à seulement quelques kilomètres.
Playa Dominical
Le wifi plus que capricieux dans la maison et l’envie de découvrir la côte et ses plages nous poussent à descendre jusqu’à la côte pour régler quelques soucis administratifs, planifier la suite du voyage, nous baigner et retrouver le soleil!
A Playa Dominical, pendant que le reste de la famille affronte les vagues et que Nine travaille sur la plage, je suis confronté au «shutdown» qui paralyse l’administration américaine. Quelques jours auparavant, j’ai reçu un mail des douanes, m’indiquant que nous devions quitter le territoire US dans un délai maximal de 10 jours, à l’expiration de notre visa… On réalise alors qu’à Tijuana, seule la douane mexicaine avait tamponné notre passeport. Les Etats-Unis n’avaient pas enregistré notre départ de leur territoire et nous y croyaient encore.
Sur leur site, ils disent que cela arrive souvent lorsqu’on arrive en avion et qu’on repart en bus. Ils indiquent aussi la procédure à suivre: se faire tamponner son passeport à la frontière mexicaine. Très simple quand on est déjà au Costa Rica!
Aucun de mes mails ne reçoit de réponse, pas plus que mes appels à l’ambassade américaine à San José.
Nous sommes donc des immigrants clandestins au pays de Trump, que nous avons pourtant quitté il y a presque deux mois.
Le mardi, on se lève tôt pour partir en compagnie de Tyler vers le petit marché bio de Tinamaste, le village situé juste à la sortie de la piste.
Ambiance hippie et gringo.
Tyler nous explique que notre versant de colline est habité par des ticos, mais que l’autre côté est investi par des américains new age tendance chignon bun, pantalon en chanvre et longue barbe.
L’ambiance est bonne. Tout le monde semble se connaître et les étals de nourriture cotoient les tables de massages, les stands de graines en tous genres, de bracelets artisanaux et de kombucha maison. Charlotte est ravie de faire le plein de produits locaux! On croise une Française qui vend des confitures et qui nous propose de la retrouver quelques jours plus tard pour une opération « nettoyage de plages ».
Rendez-vous est pris pour le samedi suivant à Playa Hermosa, située en contrebas de la colline.
Sur la route, il n’est pas rare de prendre des ticos en stop, surtout lorsque nous les voyons arpenter la piste cabossée en plein cagnard.
C’est à chaque fois l’occasion d’échanger avec des locaux, toujours très sympathiques et souriants.
San Isidro
L’après-midi nous roulons jusqu’à San Isidro, la ville voisine, pour tenter de régler un autre problème: changer le pneu crevé depuis Zancudo qui ballotte à l’arrière de notre 4×4. Las, impossible de trouver la même marque que notre pneu crevé: nous repartons bredouille à la maison.
Sur le chemin du retour, je rejoins Tyler dans la petite salle communale d’Alfombra pour une heure de cours/discussion avec des ticos désireux d’apprendre un peu d’anglais. Un Israélien, un canadien et une américaine s’expriment en espagnol, et les quelques locaux présents tentent de leur répondre en anglais.
Et moi entre les deux, qui jongle entre les deux langues.
Des enfants nous rejoignent et nous finissons par un jeu de carte polyglotte – arrosé de quelques bières. Excellentes rencontres.
Le surlendemain, nous sommes de retour à San Isidro, cette fois pour le marché.
Rien à voir avec celui de Tinamaste. Là, une immense halle couverte et tout ce que l’on peut trouver de fruits exotiques, de légumes et de produits locaux.
Nous repartons les sacs remplis de bonnes choses. Après avoir fait le tour des magasins de pneus de la ville – aussi nombreux que les bars dans un village breton – je me résous à contacter le loueur de voitures pour savoir ce que je peux faire.
« Pas de problème monsieur, allez dans n’importe quel garage pour faire réchapper le pneu »
« Oui, mais là ça va pas être possible: il est éclaté sur quinze centimètres »
« Ah bon?? Mais qu’est-ce que vous avez fait avec la voiture??? »
« Nous? Ben, euh… rien du tout! On roulait sur une piste – normal – et, tout à coup, le pneu a éclaté… Une pierre sûrement!… »
« Hum… Dans ce cas, vous pouvez en racheter un de n’importe quelle marque pourvu qu’il fasse la même taille que l’autre. »
Bonne nouvelle.
En changeant le pneu, le garagiste retire plusieurs litres d’eau boueuse. J’ai bien fait de le changer moi-même, sinon je ne suis pas sûr que mon histoire aurait tenu la route auprès du loueur!
De retour à la maison, je poursuis seul à pied la piste sur quelques centaines de mètres pour découvrir la seconde cascade indiquée par Tyler. Re-bain. Mais pas beaucoup plus longtemps que dans l’autre.
Malgré tout, le spectacle est grandiose: celui d’une nature toute puissante, avec ses arbres et ses lianes immenses lancés dans une course qu’on croit infinie vers le ciel, à la recherche de lumière. Les bruits qui m’entourent sonnent tous différemment que dans n’importe quelle autre forêt européenne. L’impression d’être dans l’un de ces innombrables documentaires sur la jungle que nous avons tous vu à la télé.
Ici, l’aventure est littéralement au bout du chemin.
Sur la route du retour, je croise les toucans repérés le matin même par les enfants et m’arrête tous les deux mètres pour admirer le coucher du soleil. La forêt qui couvre la colline et, au loin, la mer qui reflète les lumières mordorées du couchant.
Jardin d’Eden
Dans un restaurant de Tinamaste, je discute avec Luis. Hyper sympa et plutôt dissert, il nous conseille une autre cascade, plus grande et située de l’autre côté de la colline, sur le versant « hippie ».
Ses indications, conjuguées à mon espagnol approximatif, ne nous avait pas permis de la localiser précisément.
Qu’à cela ne tienne: on prépare des sandwiches et on s’équipe pour une grande randonnée. La piste est en fait tout à fait praticable et nous garons la voiture à seulement quelques centaines de mètres de ce qui nous semble être le bon endroit.
Aventuriers, mais pas trop quand même.
On emprunte un chemin si pentu que Louise et Charlotte manquent de glisser à chaque pas.
Il traverse un domaine privé que son propriétaire – américain évidemment – nous autorise à emprunter. L’endroit est incroyable: véritable jardin d’Eden qui s’étend sur plusieurs hectares, planté de dizaines d’espèces exotiques .
Un centre de méditation et de retraite zen. Evidemment.
Le chemin débouche sur le haut de la cascade, qui fait plusieurs dizaines de mètres de haut.
On se penche avec précaution vers le bas pour apercevoir quelques familles qui se prélassent.
On choisit de rester en haut: l’endroit est splendide et rien que pour nous.
L’après-midi passe sans que l’on s’en rende compte, entre baignades, lecture et observation de la faune environnante. Des milliers de grenouilles minuscules sautent devant cahcun de nos pas.
On remonte la rivière les pieds dans l’eau. Jean trouve une feuille de sa taille. Comme tout le reste, il veut absolument la ramener. Reste à trouver un herbier en conséquence.
Au retour, on remonte par le jardin, mais cette fois dans le sens de la montée.
Exténuant mais magnifique.
Vamos à la playa
Le samedi, tout le monde descend vers Playa Hermosa, armés de gants et bien décidés à débarrasser la plage de tout le plastique que nous trouverons. On arrive à onze heures, après la bataille, un peu honteux de croiser la française et son équipe de volontaires avec leurs sacs poubelles remplis de détritus.
Le rendez-vous était à huit heures.
La plage porte bien son nom: elle est « hermosa » – belle en espagnol – avec sa langue de sable à perte de vue et la forêt juste derrière.
Nous traînons toute l’après-midi entre la mer et les petites guitounes qui vendent de bons plats et des cocos fraîches. Même les policiers s’arrêtent pour manger un ceviche et boire une eau de coco entre deux patrouilles!
Il fait beau, il fait chaud.
On échange avec Manu, un Vénézuélien qui parle un excellent français, et nous conseille sur la Colombie. On observe un couple d’aras, les familles de ticos qui déballent leur équipement de plage – barbecue inclus – et les surfers qui tentent de dompter les vagues.
Alexis, Aidan et leurs trois enfants sont de retour du Panama mais ils ont réservé dans un hôtel près de la côte pour nous laisser la maison jusqu’à notre départ. Nous décidons de les rejoindre pour le dîner et mettre un visage sur ceux qui nous ont prêté leur maison sans même nous connaître.
Nine s’entend à merveille avec les jumeaux de 16 ans Hannah et Ezra. Jean et Jorah – 6 ans et des cheveux plus longs que ceux de Louise – sortent chacun leur carnet de dessin et comparent leurs œuvres: on peut dire qu’ils se sont bien trouvés eux aussi.
Mareno Ballena
Le dimanche, nous roulons jusqu’à Mareno Ballena: un parc situé en bord de mer dont la lagune forme une queue de baleine. C’est aussi et surtout un lieu de passage de ces mêmes baleines, que l’on peut observer de juillet à novembre. On ne s’attend donc pas à en voir mais il paraît que les environs sont quand même jolis.
Une fois les frais d’entrée exhorbitants acquittés, nous sommes un peu déçus par le lieu. La plage est certes belle, mais nous ne comprenons pas bien pourquoi celle-ci est payante et pas les autres.
On en repart assez rapidement et rejoignons Alexis et Aidan pour profiter du coucher de soleil depuis leur hôtel. L’occasion pour nous de les connaître un peu mieux. Louise et Jean rejoignent vite Jorah dans la piscine, et Nine discute avec Hannah.
Le soir, comme promis aux enfants, on s’arrête dans un improbable restaurant-avion situé en bas de la route qui monte vers Tinamaste.
Les plats sont dignes d’un avion de ligne: médiocres et pas donnés, mais l’endroit est surprenant.
Bye Bye Costa Rica
Après neuf jours dans la jungle costaricienne, nous décidons de repartir le lundi vers San José, pour avoir le temps de rendre la voiture avant de prendre l’avion mardi après-midi. Avant de partir, Tyler nous glisse un joli mot, dans une enveloppe sur laquelle il est écrit: «To my new friends».
Nous pouvons l’ajouter à notre liste de très belles rencontres et nous avons bon espoir de le recroiser bientôt en France.
Nous arrivons à San José en fin de journée, et nous autorisons une pizzeria pour notre dernier soir au Costa Rica.
Comme partout dans ce pays, c’est bon, mais c’est cher.
Le lendemain, nous rendons la voiture un peu fébriles. Après un tour rapide, le loueur me confirme que tout est nickel. Je souffle intérieurement, pas mécontent de rendre sans encombre ce 4×4 qui nous a valu quelques mésaventures.
Ma quiétude n’est que de courte durée: à l’aéroport, l’hôtesse m’indique que nous ne pourrons sans doute pas rentrer en Colombie car nous n’avons pas de billet d’avion justifiant notre sortie du territoire. Nous prévoyons en effet de quitter le pays par bateau, pour gagner le Pérou par l’Amazone. J’ai donc une nouvelle bonne raison de stresser pendant tout le vol, angoissé que je suis.
Nous quittons le Costa Rica avec mille souvenirs en tête, des crocodiles de Palo Verde au volcan Arenal en passant par les montagnes de Monteverde, le paradis de Zancudo et la jungle de Tinamaste. Des ticos toujours détendus, chaleureux et accueillants. Un pays conscient comme nul autre de la richesse que représente sa faune et sa flore, même si nous avons parfois été déçus de l’impact souvent négatif du tourisme – surtout américain – grandissant dans ce coin d’Amérique centrale.
L’officier des douanes qui nous attend à notre arrivée à Bogota n’a visiblement rien à faire de notre départ un mois plus tard et, après quelques questions d’usage, tamponne nos passeports avec un grand sourire.
Bienvenido en Colombia!
Goodies
Mango Salsa: pour une fois, pas de livre mais une recette toute simple, fraîche, et qui remplacera le sempiternel guacamole d’apéro: on prend 3 ou 4 tomates qu’on presse pour ne pas avoir le jus et on la coupe en petits morceaux. Puis une mangue qu’on coupe en petits dés. On émince un oignon. On assaisonne avec du sel et un peu (beaucoup) de piment.Servez le tout avec des nachos (chips de tortilla). Et à la fin, dites bien: Merci Tyler pour la recette!
Livre à lire: « Costa Rica » de Rachel Fregosi et Olivier André, le livre préféré de Charlotte et Jean pour apprendre à connaître le Costa Rica avant le départ. Des explications claires et détaillées et de jolies illustrations.
Génial. Merci Pierre pour ces récits ! On s’y croirait !
Profitez bien de ce voyage incroyable !
Bizzzzz
Amande.