Une semaine à Palomino
Sur la route
Nous récupérons une voiture de location à l’aéroport de Santa Marta, mais pas de sketch cette fois. Nous sommes même surclassés: pour le prix d’une petite citadine, nous avons droit à une voiture confortable et plutôt spacieuse.
L’air est chaud.
Chacun enlève ses épaisseurs et nous roulons fenêtres ouvertes en direction de Palomino, à un peu plus d’une heure de Santa Marta. La route longe d’abord le Parc National de Tayrona, puis la mer des Caraïbes et nous emmène à travers plusieurs villages.
Nous sommes samedi soir; sur le bord de la route, tous les commerces sont ouverts. Les enceintes de chaque bar crachent du reggaeton et de la musique colombienne à s’en faire péter les tympans. L’odeur de grillades et la foule qui déambule donne à la route des airs de barbecue géant.
La circulation est anarchique, les innombrables motos zigzaguent entre les camions chargés, les voitures bondées et les bus. Personne ne porte de casque et le nombre de passagers oscille entre un et quatre. Le clignotant sert à tout sauf à tourner et le klaxon autant à saluer qu’à se manifester, ou à remercier. Les cars roulent à fond la caisse en libérant des volutes noires qui nous obligent à rester à distance. A l’inverse, les petits bus s’arrêtent tous les deux mètres sans vraiment prévenir. Tous ressemblent à des discothèques roulantes tant elles sont couvertes de néons clignotants. On retrouve les fameux « tope » croisés au Mexique et au Costa Rica, annoncés cette fois-ci, mais tout aussi dissuasifs. Les panneaux sur le rebord de la route sont au mieux improbables, au pire incompréhensibles. On adore cette ambiance un peu foutraque mais je dois rester vigilant au volant: en plus des motos, des vélos sans aucun éclairage, des piétons, des carrioles…
Ça sent la vie mais pas franchement la sécurité routière.
Jeu de piste
Le message de notre hôte Carlos ressemblait à un jeu de piste :
« La cabane est près de Palomino. Sur la route, arrêtez-vous à Buritaca et demandez Angelina Rincòn. C’est ma mère. Elle tient une épicerie et vous donnera de quoi faire votre petit-déjeuner. Quelqu’un vous conduira ensuite jusqu’à la cabane. »
Apparemment, ils n’avaient pas non plus d’adresse en Colombie.
Nous arrivons finalement à Buritaca et finissons par trouver Angelina après quelques détours dans le village en fête. Son épicerie est fermée à cette heure mais tout le monde se connaît et nous oriente avec à chaque fois beaucoup de gentillesse .
Nous décidons de manger un morceau sur le bord de la route devant l’épicerie d’Angelina.
Une moto de police se gare à côté de nous. L’un des deux flics en descend et s’avance vers moi. Je stresse un peu. En retirant son casque, il me tend son poing… pour que je le checke! Il se présente avec un grand sourire, et va commander dans la même guitoune que nous, avant de se plonger dans ce qui semble être le sport national du coin : le chat sur wahtsapp. Ça va, ça craint pas trop!
Street food sur fond de reggaeton. What else? aurait dit Georges Clooney.
En fait de petit-déjeuner, Angelina tend deux grands sacs remplis de provisions, qui pourraient nous nourrir toute la semaine.
Elle nous confie à son mari, qui prend le volant de son antique Jeep de 1971, sur le toit de laquelle est fixée une niche en bois qui manque de tomber à chaque virage et dos d’âne.
Après plusieurs arrêts pour refixer le tout et un trajet de quarante minutes qui devait en durer quinze, nous arrivons finalement dans une petite maison au bord de la route qui longe la côte.
Je suis un peu surpris car l’endroit ne ressemble pas aux photos du Airbnb que j’avais réservé.
Le père de Carlos nous indique un escalier en pierre qui monte à flanc du cotteau derrière la maison. 130 marches plus tard, à bout de souffle, nous découvrons la cabane toute en bois construite sur des pilotis. Une terrasse avec deux hamacs larges et profonds, un petit escalier qui mène à un promontoire, comme une vigie entre les arbres.
Petits et grands sont aux anges.
Louise et Jean escaladent une échelle et dorment sous le toit de palme. Notre lit est dur mais qu’importe, nous sommes heureux dans notre cabane de Robinson.
On se couche, impatients de découvrir la vue, au son du ressac de la mer en contrebas.
Le lendemain matin tient ses promesses: une vue à couper le souffle, sur une mer turquoise. Autour de nous, la jungle à perte de vue. Incroyable.
Le « châlet » est lui aussi très mignon: tout en bois, la terrasse encadrée par des drapeaux tibétains. Au milieu d’un jardin tropical fleuri. Le rêve.
Tubing et Kogis
Nous décidons d’aller déjeuner à Buritaca.
Dans ce village, comme quelques autres dans les environs, la rivière rejoint la mer.
On quitte la route principale pour emprunter un chemin de terre jusqu’au village. La plage est envahie de familles qui profitent du dernier jour de grandes vacances. La plupart barbotent dans la rivière, certains sur des grosses chambres à air de camion en guise de bouée. Ici, on pratique le « tubing », qui pourrait se résumer en «descendez la rivière allongé sur un pneu, et laissez vous porter par le courant jusqu’à la mer».
On passe notre tour.
Seuls touristes parmi les – très – nombreux locaux, nous sommes véritablement harcelés par les serveurs qui cherchent à nous attirer dans leur restaurant de bord de plage.
Nous finissons par céder.
Malheureusement, les prix sont prohibitifs, les tables vraiment crades, et la nourriture immangeable.
Même Charlotte ne peut avaler son poisson, et finit par en réclamer un frais, le sien datant manifestement de la semaine dernière.
On aperçoit nos premiers Kogis, que nous avions vu à la télé dans «Rendez-vous en terre inconnue».
Vêtus de blanc, les cheveux longs couleur jais et leur sac en baluchon, ils errent un peu entre les tables.
Nous en reverrons tous les jours un peu partout dans la région, sans finalement savoir s’il s’agissait en fait de Wiwas, de Kogis, d’Arhuacos ou de Kankuamos, les quatre tribus indigènes qui descendent toutes des Tayronas.
Certains portent des chapeaux blancs, les femmes transportent leurs bébés dans des besaces qu’elles font tenir en passant les anses sur leur front. La plupart marchent pieds nus, d’autres ont de grosses bottes en caoutchouc.
Nous sommes très surpris de constater que tout ce monde cohabite en toute quiétude, du moins apparente.
On marche le long de la plage pour s’écarter un peu de la foule, et l’on comprend vite pourquoi tout le monde se baigne dans la rivière plutôt que dans la mer: elle est agitée, et des courants importants nous dissuadent de nous baigner.
Des indigènes sortent de la forêt, des pêcheurs lancent leurs filets depuis le bord. Les enfants tentent de sauver des petits poissons pris au piège dans une mare. Et des puces de plage procèdent à une attaque en règle de mes chevilles.
Le jour commence à tomber lorsque nous décidons de rentrer, un peu oppressés par la foule, mais enthousiasmés par la gentillesse incroyable de tous les habitants et la beauté des environs.
Ara et Backpackers
Le lendemain, nous allons à Palomino, situé à quelques minutes de notre cabane, à l’opposé de Buritaca. Comme la veille, nous quittons la route pour une piste en terre, cette fois-ci entièrement bordée d’hôtels et de restaurants.
C’est mignon, mais on sent qu’on est ici dans un coin beaucoup plus touristique.
On slalome entre les motos taxis et les backpackers occidentaux.
Là encore, des panneaux nous défendent de nous baigner, à cause des courants dangereux. La taille et la violence des vagues ne font de toutes façons pas envie.
Nous remontons la piste à la recherche un peu vaine d’un restaurant, pour finalement atterrir dans une excellente boulangerie, tenue par une « abuela » adorable.
On retourne à la plage et Louise repère un grand ara rouge qui plane au-dessus de nous, et finit par se poser sur une arche en bois toute proche.
Chacun dégaine son appareil photo pour une séance photo avec un oiseau qui prend un peu trop la pause pour être sauvage.
C’est pas grave, il est photogénique.
Sur le chemin du retour, nous errons une heure pour tenter de retirer un peu de liquide, dans ce coin qui ne connaît pas la carte bleue.
Nous revenons bredouilles à la maison, que nous ne retrouvons pas dans la nuit! Sans adresse et un réseau plus que moyen, on essaye de repérer le panneau en bois à l’entrée de la propriété mais nous le ratons deux fois.
Nous finissons par le voir après plus de vingt kilomètres de détour.
Santa Marta
Le lendemain, nous partons à quatre pour visiter Santa Marta et retirer par la même occasion. Nine veut rester travailler. Et être un peu tranquille. Et regarder « Stranger Things » aussi.
Conduire dans le centre-ville de Santa Marta, c’est un peu comme faire une marche arrière sur le périphérique parisien: dangereux et avec peu de chances d’en sortir indemne.
Pire que Paris. Pire que Naples. Pire que tout.
Bus, taxis, colectivos, voitures, camions, vendeurs ambulants, motos, piétons se croisent dans un ballet relevant parfois du miracle.
Nous nous réfugions dans un parking extérieur au cœur du quartier colonial pas mécontent d’arriver sains et saufs et partons en quête d’un restaurant. On le trouve rapidement : air conditionné bienvenu et plats uniques délicieux. Les prix sont cette fois beaucoup plus raisonnables qu’à Palomino, alors que nous aurions pensé le contraire.
La visite se poursuite dans l’après-midi. Les rues sont colorées et les maisons du centre superbement rénovées. On alterne entre ruelles ombragées, bord de mer et avenues animées. Le centre est très joli et la ville, qui avait mauvaise réputation il y a quelques années est en pleine transformation.
Le retour est à peu près aussi épique que l’aller mais se termine sans encombre. Nous retrouvons Nine en pleine lecture de «La nuit des temps» de Barjavel, au programme de son année et qu’elle dévore comme sa mère à son âge.
De Tierra Caliente
Nous reprenons la route le lendemain pour aller à Minca, situé près de Santa Marta, sur les hauteurs.
Un blog que nous aimons beaucoup nous conseillait «d’aller prendre un peu de fraîcheur» dans la montagne en visitant le joli village de Minca.
Nous prévoyons donc un petit pull mais, arrivés là-haut, la chaleur est aussi écrasante que sur la côte.
On boit un jus dans le Tienda Cafe situé à l’entrée du village qui vend aussi de l’artisanat local. Tenue par deux adorables colombiennes, l’une d’elles parle un peu français et nous donne de précieux conseils sur la suite de notre voyage.
Notre amie Emilie a visité la région avec sa famille cet été et nous avait chaudement recommandé Mundo Nuevo, une finca aux multiples activités.
« Mundo Nuevo? Oui je connais: c’est juste là-haut. Il faut prendre le chemin qui part du commissariat. Vous pouvez le faire à pied sans problème, c’est très joli. Trente à quarante minutes de balade » nous dit la vendeuse. « Pas besoin de réserver pour déjeuner » rajoute-t-elle.
Googlemaps annonce vingt minutes de marche et «un terrain essentiellement plat».
Une heure plus tard, au bout de plusieurs kilomètres de piste en pente continue, nous nous écroulons exténués, rouge écarlates, les cuisses brûlantes et trempés de sueur devant un muret sur lequel il est écrit «Mundo Nuevo: 20 minutes».
On n’y arrivera jamais!
Le cabanon, qui dépend de la finca, s’appelle plan « B » comme « Bees ». Pour nous, ça sonne surtout comme «BEBER ! POR FAVOR»!
Heureusement, ils proposent boissons fraîches, hamacs, et balançoires offrant une vue imprenable de la vallée jusqu’à la côte.
Le hollandais qui nous sert est adorable et s’assoit à côté de moi, vite rejoint par son fils, une adorable boule blonde de 3 ans aux yeux bleus. On discute sur sa trajectoire atypique qui l’a amené ici, pendant que des mules arrivent chargées de lourds sacs de sable. On aide à décharger. Enfin, surtout lui.
Nous reprenons la piste. Magnifique, certes, mais tellement pentue!
Nous sommes doublés par des moto taxis et leurs clients qui nous regardent d’un œil incrédule.
Je ne sais vraiment pas pourquoi je continue à faire confiance à Googlemaps dans ces régions.
Ni pourquoi nous entamons systématiquement ce genre d’ascension à l’heure où le soleil est à son zénith.
Lorsque nous arrivons enfin, nous nous écroulons hagards autour d’une grande table, profitant d’une ombre bienvenue.
« Vous avez réservé ? »
« Euh… non. On nous a dit que… »
« Ah… Normalement il faut réserver. Il ne me reste que trois plats là. »
« … »
Nous aurons finalement quatre assiettes bien remplies d’excellents légume, tous cultivés sur place et délicieusement cuisinés.
On revit.
La vue sur les collines environnantes est incroyable.
Après une courte sieste, nous repartons un peu en contrebas pour rencontrer Marcelino, un indigène Wiwa. Il est allé à l’école et parle très bien l’espagnol.
En accord avec Philippe – le jeune belge qui a crée Mundo Nuevo – et le chef de son village, il a construit ici un petit hameau traditionnel et reçoit les visiteurs pour leur expliquer le fonctionnement des communautés Tayronas, sans pour autant transformer le lieu où il a grandi en Disneyland et son peuple en guide touristique.
C’est la première fois que cette communauté accepte de collaborer avec un « petit frère » comme ils appellent le reste du monde.
Deux heures de questions-réponses passionnantes. Les trois enfants posent des questions auxquelles il répond d’une voix douce. Tout type de questions, même les plus essentielles:
« Comment se passe la vie au quotidien? »
« Les enfants vont à l’école? »
« Comment vous fabriquez vos cabanes? »
« Vous connaissez Thomas Pesquet? »
« Vous faites comment pour les moustiques? »
« Avec quoi vous vous lavez les cheveux?
Pour un tuto « secrets de beauté des wiwas », veuillez consulter Nine, qui a tout noté. Plaisanterie mise à part, nous avons tous adoré cet échange.
Plus instructif que toutes les leçons dans les livres. Plus captivant que le meilleur des documentaires.
Ces communautés ne sont en relation avec la « civilisation occidentale » que depuis les années 80.
Souvent pris entre deux feux, ils n’ont longtemps connu des « petits frères » que la guerre et les combats. Maintenant que la zone est pacifiée, ils doivent réinventer une vie entre tradition et modernité. Ce que Philippe et le « mamu » – le sage – de cette communauté wiwa ont su bâtir à Mundo Nuevo semble être le trait-d’union parfait entre ces deux mondes.
Nous retournons vers l’hostel dans l’intention de redescendre vers la voiture, mais nous décidons finalement de rester écouter le concert qui se prépare, dans ce décor unique.
Le moment est précieux et les quelques privilégiés profitent de l’excellente musique, et du soleil qui se couche sur la montagne.
La nuit est déjà tombée lorsque nous redescendons, cette fois en moto, derrière des pilotes si agiles qu’ils parviennent presque à décrisper Nine. Jean et Louise sont tous les deux sur la même moto et je les entends crier de plaisir. Quant à moi, il paraît que le son de ma voix couvre celui du moteur, moulin à paroles que je suis, surtout quand il s’agit de parler bécanes sur une piste cabossée qui descend à pic.
Une après-midi mémorable pour tous, dans un lieu incroyable.
On se couche tôt en prévision de notre rendez-vous du lendemain à l’école de Buritaca à 7:30.
Mais ça, c’est une autre histoire
Goodies
Mon voyage en Colombie: une mine d’or pour toute personne qui veut découvrir la Colombie. Très bien écrit, avec de magnifiques photos, il sera notre bible durant tout ce mois. On s’en est aussi beaucoup inspiré pour déterminer notre itinéraire avant notre départ. Derrière ce blog, un couple franco-colombien basé à Bordeaux: elle a grandi en Colombie avant d’arriver en France, et lui a baroudé un peu partout avant de tomber amoureux du pays… et d’une colombienne!
Les panneaux de signalisation: on a passé la semaine dessus, d’autant qu’on le croisait plutôt souvent.
Sans internet, nous avons donc essayé de deviner par nous-mêmes.
Nine optait pour le smiley fatigué: ça devait sûrement dire «ne vous endormez pas ».
Louise voyait plus deux petits soldats qui annonçaient un contrôle de police. C’est vrai qu’il y en a beaucoup sur le bord de la route, mais on ne se fait jamais arrêter: les flics sont tous assis sur le côté en train de chatter sur Whatsapp!
Jean penchait quant à lui pour deux petits chinois avec leurs coupes au bol ( ??) annonçant ben… qu’il devait sûrement y avoir des petits chinois dans le coin!
Quant à moi je me disais que ça voulait dire: « ouvre les yeux en grand et fais super gaffe, parce que franchement, le trafic ici, c’est chaud! »
… Au moment d’écrire cet article, j’apprends sur internet que ça signifie: lumière basse / allumez vos phares.
« Haaaan! OK!!! » s’écrient cinq voix en chœur.
En vrai on voit toujours pas le rapport, mais au moins, maintenant, on sait!
Super intéressant, ça fait rêver
Merci Pierre
Nous suivons votre voyage émerveillés ! Vous nous tentez.( en fait nous sommes un peu jaloux…)
Bravo pour ton « reportage » captivant et très bien écrit …
On pense à vous, on vous embrasse tous les cinq . Bonne fin de voyage en vous souhaitant encore plein de belles aventures et belles découvertes…
😘😘😘😘😘
Martine Gory
J’avais u peu de retard dans ma lecture…..et j attendais un moment pour reprendre la suite de votre histoire…
Ce dimanche matin , sous un magnifique ciel bleu breton , je savoure vos aventures ….. vite vite je passe à la suite
Bisous