Quatre jours dans la ville du printemps éternel
Bienvenido a Medellín
Pour repartir de Salento vers Medellín – prononcez « Mets des jeans » comme dirait Jean – il nous faut prendre un premier bus vers Pereira. Sur le chemin qui nous mène au terminal, l’alarme d’une voiture garée hurle dans toute la rue.
Lorsque nous arrivons à son niveau, nous réalisons que ses occupants s’apprêtent à partir comme si de rien n’était: ils sont tous les trois sourds-muets.
Tout s’explique!
Une heure de trajet plus tard, nous changeons pour un car plus grand en direction de la ville, plus au nord. La route est interminable.
Dans le bus, nous croisons de nouveau une famille d’Américains aux mains bleues que nous avions vue à Salento. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agit en fait d’un rite de purification pratiqué en Amazonie.
Ça doit être super, mais tu ressembles quand même à un schtroumpf pendant une semaine ensuite.
Partis à 13:15, nous arrivons au « Terminal del sur » de Medellín à 20:00. Aucun taxi ne veut nous prendre: le quartier touristique de Poblado est à moins de dix minutes et ça n’a pas l’air d’en valoir la peine. Charlotte, Louise et Jean finissent par en attraper un et nous suivons avec Nine cinq minutes plus tard.
Pour la première fois du voyage, les enfants s’écroulent de fatigue sans dîner dans notre chambre du Jardin de la 10.
Situé sur la calle 10 donc, il est, comme beaucoup d’hostals, organisé autour d’un patio dont le calme tranche avec la cacophonie de la rue.
Malgré cela, on s’endort au son du boum-boum des deux boites de nuit voisines.
Dormir près d’une boîte c’est relou. Près de deux boites c’est deux fois plus relou.
Vive les boules quies.
Seis Puntos
Le lendemain matin, nous partons en quête d’un hôpital pour faire retirer les points de Jean. On traverse le Poblado en direction de la Clinica de Medellín, conseillée par la gérante de notre hostal. Les gratte-ciel modernes et les larges rues bordées de palmiers font davantage penser à une ville américaine qu’à l’image d’Epinal qu’on peut se faire de Medellin.
Sur place, on essuie un refus catégorique : pas d’ordonnance, pas de soin.
Dans la rue, pratiquement que des cliniques privées, dont beaucoup esthétiques: on sent qu’on n’est pas dans le ghetto.
On tente notre chance dans ce qui semble être un immeuble rassemblant plusieurs centres de soins privés.
Au second on ne retire que les points qui sont faits sur place.
Au troisième, après un conciliabule, les secrétaires refusent poliment.
Manifestement, il est plus simple de se faire une injection de Botox que de se faire retirer des fils de suture dans le coin.
Au cinquième, nous sommes accueillis par un jeune docteur, qui part se renseigner. Il revient avec la même réponse qu’au second. Mais, plus débrouillard et surtout gentil que les précédents, il propose de nous rédiger une ordonnance.
Nous retournons à l’hôpital munis du précieux sésame et, après une courte attente, Jean peut ranger toute cette histoire de blessure dans la catégorie : « truc exotique à raconter aux copains en revenant ».
Le soir, on retrouve Silanu – que nous avions rencontré à Bogota – devant son hostal situé non loin du nôtre.
Arrivée du Pérou, sa copine Ophélia l’a rejoint, et tous deux ont exploré le sud pendant que nous étions sur la côte Caraïbe.
Les enfants sont contents de revoir une tête connue, et chacun raconte ses aventures des jours précédents autour d’une bière.
On dîne chez Criminal taqueria, délicieuse et pas très chère.
Soudain, Ophélia tourne de l’œil et s’effondre dans la rue.
Silanu tente de la réveiller pendant que je vais chercher de l’eau sucrée. Après une minute d’attente un peu flippante, elle ouvre les yeux, un peu étonnée de toute l’agitation qui l’entoure.
Des policiers arrivent vite et nous soupçonnent d’avoir abusé des spécialités locales. Vite rassurés à la vue des enfants, il nous recommandent de rentrer nous reposer. On s’exécute après avoir convenu de se retrouver le surlendemain.
Plata o plomo
Le dimanche, nous visitons la «casa de la memoria» : un musée gratuit qui retrace les tristes événements qui ont forgé la réputation de Medellin.
A travers une expo très didactique, on (re)voit les exactions de l’armée et des différentes factions paramilitaires qui tenaient des quartiers entiers de la ville sous leur coupe. Puis les années 80 pendant lesquelles la ville était aux mains du cartel le plus puissant du monde. Des coupures de journaux nous rappellent l’attentat de l’avion Avianca entre Medellin et Cali, commandité par Pablo Escobar pour éliminer son adversaire Gaviria à la présidentielle. Gaviria n’était en fait pas dans l’avion et sera élu président.
On se souvient de l’ascension politique d’El Patron, qui faillit le mener à la fonction présidentielle.
Sur des écrans défilent les témoignages de quelques unes des mères des milliers de jeunes habitants portés disparus, torturés par l’armée ou victimes du narco-trafic.
Louise parvient presque à déchiffrer tous les textes explicatifs, elle qui n’a commencé l’espagnol qu’au début de cette année.
Nous repartons à pied en direction de la place Botero, situé dans le centre de la ville, avec un petit air dans la tête.
Une demi-heure de marche et une pause déjeuner plus tard, Jean reconnaît tout de suite l’artiste lorsqu’il aperçoit les statues de bronze qui ornent la place. Originaire de Medellin, il a fait don de ses peintures au musée qui lui est consacré à Bogota, mais la majorité de ses sculptures ont été offertes à sa ville natale.
On retrouve ces bonshommes joufflus à l’air sérieux.
Les enfants l’adorent et s’amusent à reconnaître celles dont ils ont vu les reproductions à Bogota.
Pause café dans la rue – 500 pesos, soit 15 centimes d’€ – et l’on prend le métro pour rentrer dans le quartier. On remonte la calle 10 pour une soirée pizza.
Casa Kolacho
Le lundi après-midi, nous partons en direction la station San Javier sur la ligne J, point de départ du téléphérique qui grimpe au-dessus des quartiers populaires, accrochés à la colline.
Là, nous retrouvons Silanu et Ophélia – qui a repris des couleurs depuis samedi soir.
Ils sont accompagnés de Max, un sympathique savoyard rencontré dans leur hostal, et lui aussi en voyage depuis plusieurs mois.
Nous avons tous rendez-vous avec Sara et Daniel.
Elle est franco-colombienne fraîchement débarquée à Medellin et nous servira de traductrice.
Lui est natif de la Comuna 13 et membre actif du collectif « Casa Kolacho »: un groupe de musiciens, graffeurs, danseurs et rappeurs qui ont su transformer leur sinistre quartier en centre du monde de l’art urbain.
Daniel nous embarque dans un colectivo qui grimpe au sommet de la Comuna 13 après nous avoir servi un discours plutôt à l’encontre de ce que l’on pourrait attendre:
« Surtout n’hésitez pas à sortir vos appareils et prendre des photos, les diffuser sur Instagram. Ici, on ne craint rien, au contraire! ».
Avec quelques amis, ils ont depuis dix ans compris le porte-voix que pouvait représenter ce genre d’image et la porte de sortie qu’incarnait l’expression artistique.
Eux qui n’avaient connu que la violence.
Celle des militaires dans les années 70, puis des para-militaires et des FARC dans les années 80 et 90, coincés entre les milices d’auto-défense et l’un des taux de criminalité les plus élevés au monde.
Puis pris pour cible par l’armée, appuyée des para-militaires, lors des opérations « Orion » de 2001 et 2002. Le traumatisme est encore très présent chez les habitants, à l’instar de ce vendeur de sucettes aux chocolats qui nous abordera un peu plus loin : sa gestuelle est comme syncopée et sa diction hésitante; Daniel nous expliquera qu’il panique dès qu’il perçoit le son d’un hélicoptère et que son traumatisme date des dernières opérations militaires.
Syndrome post-traumatique, comme à la guerre.
Le quartier, né de la migration massive de paysans pauvres arrivés de l’ouest du pays dans les années 50, cristallise tous les conflits et les excès qui ont secoué le pays tout entier depuis 50 ans.
Pour les enfants, pas besoin de traductrice pour comprendre qu’on ne venait pas en vacances à Medellin à cette époque. Encore moins dans la Comuna 13.
Tout le monde est captivé.
Le quartier qu’il nous fait visiter s’est métamorphosé en moins de dix ans, en grande partie grâce à l’esprit créatif de ses habitants. Les murs sont recouverts de fresques qui racontent l’histoire du quartier.
Daniel nous donne les clés de lecture, nous fait remarquer les maisons colorées et le cœur au milieu. Il nous raconte l’histoire de chaque artiste, et de chaque graff. Certains sont réalistes, d’autres plus allégoriques. Tous sont colorés et ont transformé ces quelques rues à flanc de montagne en musée à ciel ouvert.
Où l’on ne croise que des touristes et des locaux aussi souriants qu’accueillants.
On s’arrête regarder une troupe de hip-hop. Daniel les salue et devise avec certains pendant que les autres enchaînent un numéro bien rôdé et assez impressionnant.
Bien en vue, comme sur tous les graphs, le compte Instagram de la troupe: tous ici utilisent cette arme de diffusion massive.
Chacun sa bombe.
Pari réussi pour le collectif qui a initié un cercle vertueux et entraîné dans son sillage une foule d’initiatives en faveur du quartier et de ses habitants.
Pause glace à la mangue au milieu du barrio, la meilleure de la ville paraît-il.
Après plus de trois heures passionnantes à descendre la colline de la Comuna 13, nous terminons notre périple dans le local du collectif, où Daniel nous initie au graff… On manque d’entraînement mais Jean a promis de s’exercer sur les murs de son école!
Avant de repartir vers Poblado, nous embarquons avec Max, Silanu et Ophélia dans le téléphérique pour tenter de profiter du coucher de soleil.
La vue est vertigineuse. On passe au-dessus des maisons de brique rouge et des toits en tôle.
La ville s’étend à l’infini.
Comme on ne sait pas trop où s’arrêter, on reste dans notre œuf à chacune des trois stations, et on finit par faire demi-tour avec.
On se croit au ski. Evidemment, on a tous la même chanson en tête.
Tout le monde sort sans encombre, et s’engouffre dans le métro en direction de la maison.
La soirée se passe avec Silanu et Ophélia, que nous quittons de nouveau le lendemain. Eux restent à Medellin, mais nous repartons dès le matin en direction de Guatapé, à une heure trente à l’est de la ville.
Charlotte et moi quittons à regret cette ville, que nous avons adoré. A l’opposé de tous les clichés, nous avons vu une ville animée, au climat parfait. Des habitants adorables et accueillants, un bouillonnement culturel et créatif, comme une revanche sur leur sinistre passé.
Il semble bien loin, le temps où Pablo Escobar régnait sur la ville et faisait la pluie et le beau temps sur le pays entier, à coup de millions de dollars.
Sans faire d’angélisme, on peut dire que Medellín a retrouvé ses couleurs, et sa réputation d’antan : celle de la ville de l’éternel printemps.
Hasta Pronto Medellín!
Narcos: difficile de passer à côté de la série Netflix lorsqu’on visite Medellín, tant la ville est intimement liée à Pablo Escobar dans l’inconscient collectif. Tous les colombiens vous diront que rien n’est crédible dans cette série, à commencer par l’acteur brésilien qui incarne El Patrón, pourtant colombien pur jus. Beaucoup ont vécu ces années de plomb, et n’apprécient pas vraiment la série pour gringos qui en a été faite. Mais, en tant que gringo, j’ai adoré la série, justement parce qu’elle retrace l’ascension à peine croyable de cet homme, qui appliquait à la lettre sa fameuse devise: « Plata o plomo » – l’argent ou la mort. Un personnage terrible, cruel, mégalo, attachant. Un personnage de film à n’en pas douter.
Les vrais préféreront la série colombienne « El Patrón del mal », bien mieux documentée et avec un vrai colombien dans le rôle cette fois. Promis, je m’y mets de ce pas.
description très émouvante de cette ville. Nous vivons dans l’ambiance de ce renouveau. Merci