De Lima à Nazca
Ordonnance
A peine assis dans l’avion qui nous amène de Bogotá à Lima, les hôtesses dévisagent Jean avec un air suspect et me réclament l’ordonnance qui l’autorise à prendre l’avion.
« Hein?? L’ordo quoi??? »
« Ben oui, vous comprenez, avec la pression, sa cicatrice peut se déchirer… »
«… Parce qu’elle pas pressurisée votre cabine ?? »
« Si, bien sûr, si, si… mais s’il lui arrive quelque chose, nous ne voulons pas être responsables. »
« Ben rassurez-vous: si vous n’avez pas de chien, il n’arrivera rien. »
« Sans cette ordonnance, nous ne pouvons pas l’accepter à bord. »
« Mais??? Il a pas la variole!! En plus il a pris un vol avec 6 points de suture dans le crâne il y a 15 jours et personne n’a fait d’histoire!… Et vous croyez qu’on est revenu à pied de Leticia ??»
« Je vais voir avec ma supérieure ce qu’on peut faire »
L’hôtesse revient avec une dame à l’air sévère et la démarche assurée de la supérieure qui se sent supérieure.
Elle me tend une décharge de responsabilité que je dois compléter et signer. Comme si on allait faire un saut en parachute.
On marche sur la tête. Las, je m’exécute. Pas le courage de faire un scandale.
Quand ça veut pas, ça veut pas.
Sitôt arrivés à Lima, alors que nous tentons de joindre notre hôte airbnb pour avoir l’adresse exacte de l’appartement que nous avons loué, elle nous répond qu’en fait il n’est pas prêt et qu’elle préfère annuler.
Là, assis dans un snack de l’aéroport, sans nulle part où aller et Jean qui a un bec de canard à la place de la bouche, on regrette déjà la Colombie.
On finit par trouver un hôtel – pas dans notre budget – et on saute dans un taxi.
Lima
Tous les gens que nous avions croisé avaient soit détesté Lima, soit l’avaient évité.
Dangereux, sale, pollué, sans aucun intérêt.
Bonne ambiance.
Malgré cela, l’hôtel dans lequel nous débarquons est mignon, et les chambres confortables.
En fin de journée, nous partons à pied voir le coucher du soleil sur le malecon : blindé de monde.
On s’arrête dîner à La Lucha: une chaîne de (très) bons sandwiches.
Devant sa mine défaite, on consent à donner quelques frites sans sel à Jean, qui n’en peut plus des soupes et des smoothies.
Le lendemain, on pousse vers le centre historique, mais le cœur n’y est pas: Jean reste faible, ne peut rien manger et les quelques rues que nous parcourons n’ont effectivement pas grand intérêt.
Avec Charlotte, nous décidons de modifier notre itinéraire.
Il pleut très fort en Bolivie, des inondations rendent certaines régions inaccessibles, le froid et l’altitude ne facilitent pas l’affaire et nous ne voulons pas prendre de risques supplémentaires.
Nous resterons donc au Pérou au lieu de descendre jusqu’à San Pedro de Attacama.
Tant pis pour le Salar d’Uyuni, que je rêvais de traverser.
Tant pis pour les nuits étoilées dans le désert de l’Attacama.
Tant pis pour La Paz, Sucre ou Potosi en Bolivie.
Nous avons une excuse toute trouvée pour repartir en voyage.
Mais, pour le moment, nous préférons brider notre soif de découverte.
Et aller dîner!
Paracas
Le lundi est consacré aux lessives et à l’organisation, puis nous prenons un bus « Cruz del Sur » le lendemain midi à destination de Paracas.
Le luxe à l’intérieur est hallucinant: écrans individuels, fauteuils XXL inclinables, oreiller et couverture.
Au premier rang du second étage, nous avons le droit à une vue panoramique pendant tout le trajet.
Malheureusement, les trois heures de route qui longent la côte son un peu décevants : d’un côté, un désert morne aux airs de chantier géant; de l’autre, des kilomètres de plage sales pas très ragoûtantes.
A peine avons-nous posé le pied hors du bus que nous sommes sollicités pour une visite des fameuses Iles Ballestas, peuplées de lions de mer et de pingouins.
Mais, la lecture de plusieurs blogs nous ont dissuadé d’y aller: l’endroit paraît beau mais la quantité impressionnante de gros bateaux dans lesquels sont agglutinés des dizaines de touristes sans ombre ne nous font pas très envie, surtout après les moments uniques avec les animaux que nous avons pu vivre ces derniers mois.
Nous posons nos valises dans un hostal agréable, parés à explorer les environs, mais Jean est amorphe et commence à avoir de la fièvre.
Beaucoup de fièvre.
On s’inquiète de le voir dans cet état et nous éclusons les pharmacies à la recherche de compléments alimentaires liquides qui pourront l’aider à récupérer des forces. L’idée ne l’enchante pas, mais le revigore un petit peu.
Pour couronner le tout, l’ambiance de l’hostal est bien différente de ce que nous avons connu en Colombie: des touristes bruyants, moins respectueux des parties communes et surtout pas très communicatifs.
Le lendemain, Jean est de nouveau sur pied; la fièvre est retombée, et surtout son grand-père – que nous avons eu au téléphone – l’a autorisé à manger et nous a prodigué de précieux conseils. Nous retirerons donc ses fils plus tôt que prévu et il peut dès à présent se nourrir normalement.
Il revit.
Nous en profitons pour aller voir la «machine à remonter le temps». L’endroit est difficile à trouver, l’entrée coûte aussi cher qu’un ticket pour le Futuroscope et on nous explique que la personne qui s’en occupe n’est pas là.
On repart un peu dégoûtés mais sommes rattrapés sur le front de mer par un employé manifestement plus commercial, qui nous fait un prix et nous indique que tout fonctionne parfaitement.
Ça sent l’arnaque.
Une fois dans la salle, le noir se fait et nous sentons nos sièges bouger tandis qu’apparaît un premier décor: nous sommes transportés chez les Paracas, le peuple pré-inca qui peuplait la région du 8è au 2è siècle avant notre ère.
Connus pour leurs rites funéraires – des corps momifiés et enveloppés dans des étoffes finement brodées – mais aussi et surtout pour la forme de leurs têtes: comme les chinoises avec leurs pieds, ils contraignaient les crânes des nouveaux-nés pour leur donner une forme oblongue...
Charmant.
La voix-off en français, est malheureusement incompréhensible, mais les tableaux qui s’enchaînent pendant vingt minutes nous font passer d’une époque à une autre.
Nous ressortons agréablement surpris de cette expérience, même si personne n’a rien compris aux explications.
Nous profitons de la cuisine de l’hostal pour dîner sur place et nous coucher tôt.
Jean reprend des couleurs et sa lèvre dégonfle à vue d’œil.
Le propriétaire des lieux – un vieux péruvien très sympathique qui répond au nom d’Alberto – me fait un sourire complice lorsqu’il me demande d’où nous venons en France.
« Près de Rennes? Vers Redon ou Malestroit du coup? »
« ??? »
Il me raconte que ses enfants ont connu une maîtresse qui venait de là et que sa fille, qui habite désormais en Virginie aux Etats-Unis, est mariée à un français.
J’hallucine de voir qu’il connaît des villes que la plupart de mes collègues parisiens ne situent même pas sur une carte, sans jamais être allé en Europe de sa vie.
Le monde est un village, décidément.
Il nous arrange la visite de la réserve, prévue le lendemain.
Between the desert and the sea
A dix heures, nous embarquons dans le taxi de Walter: Louise et Jean montent dans le coffre et nous partons vers le sud de la ville, pour une boucle de trois heures.
Le chauffeur a un autocollant Dakar 2018 sur sa voiture et je le soupçonne de vouloir y participer en cachette.
Le mec roule comme un taré, la main sur le klaxon, comme partout au Pérou.
Rapidement, la petite ville laisse la place au désert, majestueux.
On marque un premier arrêt près d’un panneau posé au milieu de nulle part, et Walter nous montre les milliers de fossiles de coquillages qui jonchent le sol. Il en ramasse un par terre et le tend à Jean.
Vive la préservation du patrimoine local!
A l’arrêt suivant, Walter nous montre « La Cathédrale », un rocher creusé par la mer qui forme une arche et un clocher … sauf que l’arche est tombée lors du tremblement de terre de 2007.
Tant pis, la vue est sublime.
Durant tout le reste de la visite, nous sommes partagés entre la peur de mourir d’un accident de voiture, la beauté incroyable de ce désert qui se jette dans la mer et le constat amer que la réserve ne pourra pas éternellement accueillir le flot ininterrompu de touristes qui déferlent par car entiers sur les différents points d’intérêt de la zone.
Dernier arrêt près de la fameuse plage de sable rouge. Le spectacle est grandiose, où que l’on regarde.
Le bleu du ciel et de la mer. Le rouge de la plage. Le jaune des dunes.
Notre Sébastien Loeb local nous ramène finalement à bon port, à temps pour profiter d’un ceviche dans l’un des restaurants de bord de plage.
Oasis in a desert
A 15h, nous remontons dans un car direction Huacachina, à une heure et demie de route de Paracas.
Le vent se lève rapidement, et le sable avec lui.
L’ambiance est crépusculaire, on ne voit pas à dix mètres.
Ce qui est plutôt mieux d’ailleurs, vu la façon de conduire du chauffeur, qui doit lui aussi préparer le Dakar, catégorie poids lourds.
A mi-chemin, nous sommes bloqués derrière un autre car.
L’attente dure 1h30 sans que nous ne sachions ce qu’il se passe.
Nous finissons par redémarrer et comprendre qu’il s’agissait en fait d’un blocage de péage, pour protester contre le prix de l’essence.
Des gilets jaunes avec un bonnet péruvien.
Arrivé à Ica, le bus poursuit sa route quelques kilomètres à travers des dunes vertigineuses et nous dépose finalement à Huacachina, une oasis nichée au cœur d’un désert.
Une oasis comme dans les livres: un petit lac entouré de palmiers. Quelques maisons et, tout autour, d’immenses dunes de sable fin.
La nuit est déjà tombée lorsque nous arrivons au « Wild olive », l’un des rares hôtels de l’oasis.
A Huacachina, c’est la fin de journée qui est la plus intéressante.
Nous profitons donc de la matinée pour aller en tuk-tuk à Ica et faire retirer les fils de Jean dans une clinique.
L’affaire est réglée en trente secondes, et nous revenons déjeuner à l’hostal.
Sa lèvre a bien dégonflée et la plaie cicatrise à vitesse grand V.
Cette mauvaise aventure semble désormais derrière nous.
Tout le monde est soulagé, et Jean peut de nouveau se baffrer.
A 16 heures, nous avons RDV avec Mario pour THE attraction de Huacachina: la balade en Buggy et le sandboard.
En plus d’être cher, c’est carrément l’usine. Après avoir réglé des frais d’entrée dans le désert en plus du tour, on se mêle à la foule qui grimpe en direction des dizaines de véhicules alignés dans les dunes.
On embarque avec une bande de coréennes dans un gros buggy que le chauffeur démarre en connectant deux fils dépassant du moteur apparent. On part sur les chapeaux de roue, tous un peu à la queue leu-leu.
Malheureusement, le vent s’est levé et on ne voit rien à cinquante mètres. Ça n’empêche pas notre chauffeur de foncer pied au plancher dans les dunes immaculées.
L’impression d’être dans une montagne russe à la fête foraine, sauf que là, on a la certitude qu’on va y rester.
A chaque montée, on pense qu’on arrivera pas en haut.
A chaque descente, on pense qu’on va s’écraser en bas.
Cinq minutes après, on s’arrête au milieu de nulle part avec une dizaine d’autre buggys pour une séance photo chronométrée.
Tous les véhicules sont alignés pour faire croire qu’on est seuls au monde. C’est loin d’être le cas: en vrai, on est à Disneyland version désert.
Charlotte et moi goûtons assez peu à l’ambiance, mais les enfants adorent.
On repart à fond la caisse vers une autre dune.
Là, le chauffeur sort des planches en bois aux faux airs de snowboard, et nous emmène au sommet.
Le vent souffle si fort qu’on bouffe des kilos de sable à chaque fois qu’on ouvre la bouche. On est si nombreux sur la crête qu’il faut jouer des coudes pour ne pas tomber.
Le chauffeur hurle ses ordres en appelant les gens par leur nationalité :
« Colombia! Por Aqui! No! Israel! Espera! »
Une foire au bétail en plein désert.
Charlotte passe son tour pour le sandboard. Jean, muni d’un masque, est autorisé à faire la première descente.
En absence de quarts, pas question de descendre les dunes debout sur la planche. Et puis, on commence à se lasser des blessures à répétition.
On s’allonge et le chauffeur nous pousse vers la descente… avant de nous hurler dessus si on ne dégage pas la piste assez vite.
On commence par une petite, puis une plus grande et on termine par la noire: plus de cinquante mètres de descente où l’on se cramponne à la planche en priant de ne pas glisser.
Vu le temps, le chauffeur zappe la dernière étape du coucher de soleil, et nous ramène à toute berzingue vers l’oasis.
Nous en ressortons avec le curieux sentiment d’avoir participé à quelque chose de « pas bien ».
Cette activité a défiguré les dunes, les agences et les chauffeurs n’ont aucun respect pour le joyau de nature qu’ils ont à disposition, et ne se gênent pas balancer leurs bouteilles de plastique dans le désert, qui se retrouve jonché de détritus.
Sans doute était-ce magique lorsque les hordes de touristes – dont nous faisons partie – n’avaient pas encore envahi ce petit coin de paradis, qui, il faut bien le dire, a perdu de sa superbe.
Géoglyphes
Nous repartons vers Ica le lendemain pour attraper un bus à destination de Nazca.
Sur la route, le paysage est désertique, alternant plaines rocailleuses et collines rocheuses.
Deux heures trente plus tard, nous débarquons dans une ville sans charme, connue pour ses mystérieuses lignes – appelées géoglyphes – représentant des animaux et visibles seulement par avion.
Découvertes par l’archéologue allemande Maria Reiche dans les années 20, elles suscitent l’interrogation de tous les experts depuis lors.
Toutes les théories circulent: certains y voient un calendrier astronomique, d’autres des messages à destination des extra-terrestres, d’autres enfin des lieux de pèlerinages religieux.
Tracés en retirant les roches au sol, leur état de conservation, plus de 2000 ans après leur création étonne, surtout au milieu de cette immense plaine souvent venteuse.
Nous comprenons que la géologie particulière des lieux forme comme une couche de protection empêchant au vent d’effacer ces lignes.
L’escapade en petit avion n’est pas dans notre budget et les tours qui nous sont proposés sont absolument hors de prix, même lorsqu’on négocie.
Nous optons donc pour la version simplifiée le lendemain et embarquons dans un taxi direction du mirador à vingt minutes de la ville.
Une fois en haut, nous distinguons clairement un arbre, une main, et un lézard dont la queue est coupée par la Panaméricaine.
Sur le chemin du retour, le chauffeur nous arrête vers un autre mirador – naturel cette fois – qui mène sur… rien du tout…
A l’hostal, nous sympathisons avec Jeanne, une jeune française qui a travaillé pour Radio Laser, une station qui émet depuis Guichen à dix kilomètres de chez nous – ça ne s’invente pas! – et qui voyage aussi pour plusieurs mois.
Elle nous raconte qu’elle est coincée là depuis trois jours, car aucun car ne part pour Arequipa en raison des mouvements sociaux qui bloquent la route.
Décidément !
On ne se voit pas passer le reste de notre voyage ici : à part les lignes, il n’y a vraiment pas grand chose à faire à Nazca.
Heureusement pour nous, les barrages sont levés le dimanche, et nous pouvons embarquer à 22h dans un bus pour une nuit de trajet hyper confortable.
Arequipa nous voilà!
C’est pas sorcier: Fred et Jamy vous font découvrir le Pérou et notamment les lignes de Nazca. Malgré leur air niais et leur blagues plus que potaches, l’émission sait trouver le ton juste et offre un bon résumé de l’histoire du pays et de ses nombreuses civilisations. Les enfants ont adoré et moi j’ai eu l’impression de revenir au collège.
Le Temple du soleil: 14è tome des aventures de Tintin qui se déroulent au Pérou. Incas, Machu Pichu et approximations historiques, tout y est.
Désolé, on a pas trouvé plus intello.
Super! Tellement réaliste qu’on a l’impression de voyager avec vous. Quels merveilleux souvenirs vous vous faîtes et quelle leçon de vie pour les enfants. 👏🏼👏🏼👏🏼😘